Frescaty BA-128. SAISON 3 Episode 4



Revenons sur la vie sur la base proprement dite. Comme à Plappeville, je n'ai pas eu à me plaindre de la nourriture. Elle était bien supérieure, comme je l'ai dit, à la cantine de mon lycée d'interne, à Sens. D'ailleurs, j'étais bien content de finir mes semaines de permanence pour retrouver le mess, et oublier mes repas en boites cartonnées.C'était la première fois que je voyais des distributeurs de Fanta et Coca, dans chaque salles, à volonté, dans une cantine. Le café du matin était correct, en tous cas meilleur que les cafés d'autoroute que je boirais plus tard, lors de mes déplacements professionnels ... Le pire étant celui de la raffinerie de Dunkerque ! Immonde. Bref.
Je ne me souviens pas si nous avions la possibilité d'aller prendre un repas au "Mess Off", le fameux bâtiment rond emblématique. Il est encore debout, juste en face du cinéma, dont je n'ai pas le souvenir d'y être allé.




Les mois passant, l'existence sur base avait prit son rythme. Les journées préparaient à la vie active, en imposant un horaire de levé, et une journée occupée, pour ma part, par des tâches professionnelles continues. Les retours à "la maison" étaient limités aux 20  billets de train gratuits remis en début d'année.
L'équipe d'appelés au CEP était plutôt sympa, n'ayant perdu que Yann qui a été, pour une raison que j'ai oublié, "muté" au service du garage au bout de quelques semaines. J'avais maintenant un idée assez préçise des encadrants et surtout quels étaient ceux dont il fallait se méfier.

La maigre solde qui nous était accordée ne permettait pas d'aller bien souvent au cinéma en ville, les week-end passés sur place paraissaient longs.
Rappelons nous plusieurs choses qui de nos jours peuvent paraitre incroyable : Le protocole TCP/IP, qui sera le point de départ d'Internet, ne sera adopté par ARPANET qu'au début de cette année 83 ! Donc, en 83, pas plus d'internet que de téléphone portable, ni, non plus, d'ordinateur (le PC/XT d'IBM sort cette même année, de façon confidentielle, vu son prix).
Même s'il y avait eu des ordinateurs, ils n'aurait pas fait tourner de windows ou autre interface graphique et auraient été de simples terminaux au caractères verts sur fond noir permettant d'utiliser Textor ou Lotus 123 !



Pour resituer l'informatique de l'époque, j'avais eu un job d'été en 82 au service informatique de l'Aéroport d'Orly et j'avais travaillé sur VT100 et dérouleurs de bandes ! Des monstres de mécanique !



Restaient les magazines, et le poste à cassettes d'Alain (Le CD, inventé par Sony et Philips fut lancé en 82 mais n'était pas encore abordable en 83)  pour écouter Cure (10:15 saturday night, Seventeen Seconds, Faith), U2 (Boy et War) et autres Siouxie and the Banshees sur les nombreuses pelouses, toujours très entretenues, de la base. Tout du moins en été.
Autant les hivers étaient froids à Metz, autant les étés étaient très chauds.
Dès le début mai, nous avions troqué la chemise à manches longues et la cravate contre celle à manches courtes.

Je me souviens que les fins de mois pairs étaient particuliers.
C'est là que l'on entendait régulièrement des cris déformés à intervalles réguliers. J'explique.
Quand un appelé approchait de la fin de son année sous les drapeaux, il commençait à compter les jours restants. La plupart le faisait dans leurs têtes. J'en faisais partie.
D'autres ne pouvaient pas s'empêcher d'en faire part aux autres d'une manière assez peu discrète. Voyons comment. Sur la base, un, ou plusieurs, autres aviateurs arrivent vers vous et vont vous croiser.

L'un deux vous demande :
"Combien tu pètes ?"
(Traduction: Monsieur, combien de jours vous reste-t-il à passer en ce lieu ?)

Vous n'aviez pas le temps de répondre qu'il enchaînait en hurlant, hilare :
"60 dans ta gueule" ou "60 dans'l'bordel"
(Pour ma part, il me reste seulement 2 mois, et j'en suis fort aise).

C'était les futurs libérables et leurs cris bestiaux. Plus le temps les rapprochait de la date, plus ils hurlaient, sauf, bien sûr, en présence d'un cadre.

Prendre le train le dernier vendredi d'un mois pair était donc l'apothéose, avec défilé de ces individus, hurlant "libéraaaaaaaaaaaaaaable" dans les couloirs des voitures à compartiments, à la manière, encore une fois, de Bigard dans le sketch du "mec bourré". D'ailleurs, ils l'étaient généralement, en arrivant à Paris et en continuant à hurler "libéraaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaable" dans le métro...

Le défilé dans le train se faisait avec "la quille" dans les bras. Une véritable quille en bois, qui pouvait atteindre 60 cm de haut (!), affublée d'ailes déployées (dans le cas d'aviateurs) et richement décorée de médailles. Les noms des copains de l'individu pouvaient être délicatement notés sur la quille.
Des phrases très élaborées comme "BASE AERIENNE 128 : Ici reposent 365 jours de ma vie" pouvaient y être inscrites ...
Une véritable splendeur.

Ce type de libérable permettait à un véritable réseau commercial de fonctionner. Le hall de la gare de Metz comptait nombre de kiosques vendant ces quilles, prêtes à être décorées. Ils vendaient aussi des médailles, des blasons et des .... anneaux de goupilles de grenades. En effet, une version luxe de la quille existait, quand son propriétaire constituait une chaine de 12 anneaux, tendues entre les ailes. Un par mois. Une beauté.
La gare de l'Est, à Paris, en vendait aussi, en tant que passage obligé vers l'est et ses casernes.La fin du service national a aussi sonné le glas de cette tradition. Je n'en suis absolument pas triste !

En parlant du train, attardons nous sur le sujet.
Il faut savoir que l'armée représentait dans les années 80, le plus gros client de la SNCF et ce, jusqu'en 1999, fin du service.
En 1995, le transport des appelés représentait 70% des 2,3 milliards de francs de recette "militaire". Rien que le Nord et l'Est représentait 50 trains réguliers par week-end !
Ces recettes venaient des 20 billets gratuits qu'un appelé percevait pour son année, payé par l'état et le ministère de la défense...
La fin du service aurait coûté à la SNCF, environ, 1 milliards de francs en 1999 de manque à gagner.

D'autres secteurs ont été aussi touchés par "la fin du service". Citons les usines fournissant les uniformes, les fabricants de matériel tels que gourdes, sac de couchage, , chaussures, etc. Quelques fabricants : De Buyer (gourdes et vaisselle alu), Paul Boyer , Warein, SEDEFI, SAPIVOG, UGECOMA, Houssard (Textile) Elie-Louis Gilles (bonneterie), groupe BATA (chaussures), etc. Ils étaient, en  1996, entre 100 à 150 entreprises à fournir des éléments pour le paquetage des militaires !
Il a été difficile  de trouver des chiffres sur l'impact financier, tellement les fabrications étaient partagées entre plusieurs fournisseurs.
Par exemple, le traditionnel "blouson Temps Froid", avec son col en fausse fourrure existe sous une petite dizaine de fabrications, avec des variations de couleurs à l'intérieur, des boutons différents, etc.
Cependant, un journal de 1996 parlait d'un marché de 700 millions d'euros pour la seule Armée de Terre !! Cela comprenait l'équipement de plus de 150 000 conscrits avec 55 articles chacun, pour certains en double !

Un paquetage neuf coûtait à cette époque 6000 Frs ( ce serait aujourd'hui pas loin de 6000 € avec la hausse des prix).
La "fin du service" fut une catastrophe pour certaines petites entreprises. C'est une facette souvent oubliée de cette réforme. On peut supposer que certains de ces employés avaient peut être de la famille anti-militariste ou du moins favorable à la disparition de la conscription ! Cruelle réalité. Comme quoi la vérité a souvent plusieurs facettes qu'il convient de ne pas ignorer pour avoir une analyse réaliste. Bref.


Revenons aux expressions typiquement militaires, autres que celles du libérable hurlant :

"T'es de la combien ?" (De quel contingent êtes vous ?),
" de la 2" (février),

Gonfleur d'hélice (personnel ou appelés de l'armée de l'air),
Biffin (personnel de l'armée de terre)
Bif (Armée de terre),
Juteux (Adjudant) Juteux Chef,
Bleu ou bleu bite (nouveau soldat),
Lieute-co (Lieutenant-colonel),
SVDC (Sortez vous les doigts du Cul, bougez vous),
Qui va bien (à ajouter souvent à la fin des phrases),

Au temps pour moi (c'est de ma faute. A l'origine, le soldat n'étant pas dans la cadence de la marche au pas faisait tout recommencer à sa section, il le reconnaissait donc par cette expression),

Et spécial dédicace à l'adjudant : "Ça vous fera le sexe (variante : la bite)" (Ca vous apprendra).

Mais c'est bientôt la fin (la quille)...

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