CE QUE LA PHOTOGRAPHIE NUMERIQUE A CHANGE (PART XIX) :

La disparition de certaines légendes...

La photographie numérique, en prenant doucement son essor, puis, trés vite, le pouvoir, a contribué, largement, à certaines disparitions.
Soyons juste, elle a aussi favorisé l'émergence de nouveaux acteurs.
Comme Sony, par exemple, qui n'avait pas travaillé dans le domaine photographique (à part avec le MaViCa). Ou Orange comme vendeur d'appareils/téléphone.
Pardon, je me moque. Pas Orange. Bref.

Certains disparus sont des fabricants d'appareils, comme Minolta (qui justement ont été rachetés par Sony), ou des lignes de produits entières, comme les papiers argentiques Agfa (et mon regretté Record-Rapid).
Un fabricant tient le coup depuis 1892, KODAK.
Cependant, cette marque a dû cesser la fabrication d'un monument de la photographie couleur, j'ai cité le Kodachrome.

Les moins de 30 ans ne savent peut-être pas ce que cela signifie, mais, pour les autres, c'est une chanson de Paul Simon en 1973, et/ou un fantastique film inversible qui produisait des "diapos" qui sont encore, de nos jours, splendides.

Pour en parler, débute aujourd'hui une nouvelle série uniquement consacrée à ce film.
Je laisserai la parole pour cela à quelqu'un, appelons-le "Helveto", qui travailla 30 ans au laboratoire de Kodak SA, à Renens, en Suisse. Autant dire qu'il sait de quoi il parle.

Ecoutons ce premier article....

Kodachrome: une épopée de 75 ans


Kodachrome aurait bien pu être le nom d'une sonate pour piano et violon, plutôt que celui d'un film légendaire.
Ses deux inventeurs étaient deux amis musiciens
professionnels, Leopold Mannes, pianiste et Leopold Godowsky, violoniste, quasiment du même âge car nés l'un le 26 décembre 1899 et l'autre le 27 mai 1900.
L'histoire raconte qu'en 1917, après avoir été déçus par la vision du film "Our Navy"
tourné en "Prizma Color" ils décidèrent de mener leurs propres expérimentations. Ils construisirent d'abord une caméra et un projecteur équipés chacun de 3 objectifs couverts par des filtres colorés avec lesquels ils tournèrent de nombreux films N/B qu'ils projetaient à travers les filtres du projecteur, obtenant ainsi des films animés en couleur.
Ce système fut patenté mais n'eu pas de suite commerciale.
Les deux
amis se séparèrent à cause de leurs études musicales, Mannes s'en allant poursuivre ses études de piano à Harvard, gagnant même un prix pour étudier la composition en Italie. Il étudia parallèlement la physique, toujours à Harvard .
Godowsky traversa lui les Etats-Unis pour continuer ses études de violon en
Californie, dans la célèbre université d'UCLA et y étudia également la physique et la chimie. Il devint alors violoniste au sein des Los Angeles et San Francisco Symphony Orchestras.
Malgré l'éloignement, ils restèrent en contact et échangèrent de nombreuses idées sur la manière d'améliorer la photographie en couleur.
En 1922 Godowsky retourna
à New-York où il retrouva Mannes.
Ils travaillèrent comme musiciens, continuant à
expérimenter la photographie couleur pendant leur temps libre.
Fin 1922, alors qu'il
se produisait en Europe, Mannes rencontra un représentant d'une firme d'investissement et lui décrivit leurs progrès dans le procédé couleur.
Quelques mois
plus tard, Lewis S. Strauss, associé junior dans la firme d'investissement visita Mannes dans son appartement new-yorkais et fut impressionné au point qu'il décida d'investir dans le procédé.
Grâce à ce financement, Mannes et Godowsky
construisirent un laboratoire en 1924, dans lequel ils continuèrent leurs recherches ce qui leur permit de déposer de nouveaux brevets.
En 1930, la société Eastman Kodak, voyant la qualité de leur travail et consciente
de l'avenir de ce procédé les invita sur contrat à venir s'établir à Rochester pour profiter des vastes installations de recherche de Kodak.
En 1935, soit cinq ans
après leur arrivée à Rochester, Mannes, Godowsky et le team de recherche de Kodak avaient développé un film couleur commercialisable, sur le principe soustractif, destiné au cinéma amateur.

Le Kodachrome était né.


Ce nouveau film était constitué de trois couches d'émulsion "ordinaire" aux halogénures d'argent, noir/blanc, mais chaque couche était rendue sensible à seulement un tiers du spectre de couleurs, soit au rouge, au vert et au bleu.
Lors du
développement, des images en couleurs complémentaires, cyan, magenta et jaune, constituées de pigments, étaient générées dans ces trois couches noir/blanc. Une fois leur rôle terminé, les images argentiques étaient dissoutes chimiquement, ne restant plus alors que trois couches de pigments en suspension dans la gélatine.
Ce premier Kodachrome fut mis sur le marché en 1935, uniquement en film ciné 16mm, et en deux variantes: lumière du jour, avec une sensibilité de 10 ISO (!) et lumière artificielle type A, en 16 ISO (on disait ASA à l'époque, pour American Standard Association).
L'année suivante, en 1936, sortirent trois nouveaux formats:
le 8mm ciné, le 35mm et le format 828*.
En 1938 vint le tour du Kodachrome
Professional Film, en format plan film, avec une version daylight de 8 ISO et une lumière artificielle type B de 10 ISO. Ces plan films destinés aux chambres grand format eurent une vie relativement courte, leur fabrication cessa en 1951 après seulement 13 ans de vie commerciale.
Les sensibilités incroyablement faibles de ces premiers films Kodachrome
paraissent inutilisables par nous, bienheureux photographes actuels dont les appareils démarrent à 200 ISO ! Pensez-donc: 8 ISO cela fait 1/60ème de seconde à f/5.6 en plein soleil.. et les objectifs lumineux étaient rares à l'époque. Et c'était pire encore pour le cinéma, car il fallait tenir la cadence en nombre d'images par seconde. Mais bon: c'était ça ou rien, car il n'existait rien d'autre de comparable sur le marché.
Le succès commercial fut immédiat.
Dès le départ, à cause de la complexité du processus de développement, les films Kodachrome furent vendus "développement compris", et une pochette (jaune, bien entendu) était jointe à chaque film pour servir à son envoi au laboratoire désigné par Kodak. Le film était alors développé, les vues montées sous caches en carton de 2" x 2" (pour le format 35mm) et retournées à l'expéditeur.
Cette pratique du
développement compris fut interdite aux Etats-Unis suite à un procès "Etats-Unis contre Eastman Kodak Co" que Kodak perdit en 1954 pour "pratiques anti- compétitives", ce qui permit alors à des laboratoires indépendants d'acheter les produits chimiques nécessaires au développement du Kodachrome. Par contre, dans tout le reste du monde, le Kodachrome fut toujours vendu "développement compris" et accompagné de sa petite enveloppe jaune.
Pour différencier les deux
types de films, "avec" ou "sans" développement compris, Kodak peignit alors les flasques fermant les extrémités des cartouches 35mm avec des rayures oranges et jaunes dans le cas des films "développement non-compris", au lieu du orange uni des cartouches "normales". Cela évita bien des tentatives de faire développer gratuitement ses films achetés meilleur marché aux USA, car sans développement, par un laboratoire d'un autre pays.

Ce rouleau de Kodachrome, vierge (!), ne connaitra pas les joies du bain.

Peu de changements se produisirent au cours des 25 années suivantes (sur le plan du Kodachrome, car pour l'histoire mondiale ce fut une autre chose...), avec seulement l'introduction en 1955 du Kodachrome 35mm type F de 12 ISO, du Kodachrome Professional Film 35 mm type A de 16 ISO, ainsi que du Slide Duping Film type D, ce dernier n'ayant qu'une vie éphémère de 2 ans.

La suite, bientôt...

*Le format 828 utilisait le même film que le 135 (24x36), mais sans les perforations. Lancé en 1935, un an aprés le 135, il produisait des négatifs de 28x40, soit 30% plus de surface que celui-ci. Il n'était pas contenu dans une cartouche, mais enroulé sur un axe à joues, et protégé par du papier, comme le 120 ou le 127. Ce format, même s'il n'a jamais vraiment trouvé son public, fut tout de même vendu jusqu'en 1985. L'horrible Traid Fotron utilisa ce film, enfermé dans une cartouche propriétaire.

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